Frédéric Laugrand (Université catholique de Louvain/Université Laval)
« Rien ne vaut votre propre visage parce que personne n’y croit ».
(F. Dostoïevski, Les Possédés, 1871)
Les Possédés et leurs mondes est une série audiovisuelle qui, depuis 2014, présente des témoignages et des réflexions d’anthropologues et de chercheurs en sciences humaines et sociales.
La série se veut tendre vers l’autobiographie et prendre le contrepieds de l’enquête journalistique pour privilégier une narration plus spontanée. Les invités se dévoilent, ils se racontent. Ils partagent leur vocation, leur trajectoire intellectuelle, leurs expériences de terrain et les savoirs qu’ils ont acquis au fil des années, consécutivement à leur immersion dans différents « mondes » de la planète. Les films proposent de longs récits au cours desquels « les possédés », filmés le plus souvent chez eux, reviennent sur leurs travaux, expliquent leur contribution sur les plans méthodologique, empirique et théorique. Le titre de la série évoque la célèbre citation de Dostoïevski mais son choix découle surtout de deux constats : les chercheurs consultés maitrisent et possèdent à merveille leurs objets tout comme ces derniers les possèdent, en ce sens qu’ils demeurent souvent fondamentaux dans leurs existences. Ainsi, les recherches ne semblent jamais terminées et se perpétuent au-delà de leur départ à la retraite.
Dès le départ, une question s’est posée de façon brûlante : quels héritages et quelles images les collègues qui appartiennent à la toute première génération de socioanthropologues du Canada et de France laissent-ils aux plus jeunes générations et à la communauté universitaire et non-universitaire ? Doit-on se contenter de leur production écrite (livres, articles, etc.) ? Et si l’on ne se résignait pas à cela, comment rendre accessible et valoriser la mémoire des collègues, comment saisir leur cheminement ? Comment faire connaître leurs travaux à un plus large public et préserver ces archives ? Les articles et livres demeurent bien souvent peu labiles sur le vécu personnel, les expériences de terrain, les difficultés et les hasards de l’existence, autant d’éléments qui permettent pourtant de comprendre la trajectoire intellectuelle d’un chercheur. Enfin, comment pousser les jeunes générations à retourner à ces travaux et les écrits de leurs mentors ?
Créée par Frédéric Laugrand, professeur à l’Université Laval à l’époque et aujourd’hui professeur à l’Université catholique de Louvain (UCL), et par Emmanuel Luce, photographe, géographe, océanographe et doctorant en anthropologie à l’U. Laval, la série se donne ainsi comme objectifs de transmettre, préserver, valoriser et partager les savoirs des sciences sociales sur le Web. La série a très tôt bénéficié des talents de Anthony Melanson, une étudiante en communication. Le projet a ensuite pu démarrer grâce à la confiance et à des appuis en nature de la faculté des sciences sociales de l’Université Laval et de plusieurs appuis financiers obtenus auprès du CRSH (Canada), de la revue Anthropologie et Sociétés, de la CASCA, de la Commission Wallonie-Bruxelles (Belgique) et du FNRS (Belgique).
Sur le plan des films réalisés, la série compte à ce jour des entretiens avec soixante-dix personnalités qui se sont exprimé en français, à savoir et selon l’ordre chronologique: B. Saladin d’Anglure, LJ. Dorais, H. Dagenais, P. Charest, D. Delâge, MF Labrecque, S. Genest, P. Maranda, L. Paradis, B. Bernier, JJ. Chalifoux, JC. Muller, JJ. Nattiez, É. Schwimmer, É. Waddell, P. Beaucage, G. Bibeau, JJ. Simard, C. Collard, R. Lemieux, E. Corin, C. Bariteau, Bogumil Koss, A. Fortin, J. Rousseau, J. Lévy, P. Fougeyrollas, M. Fournier, F-R. Ouellette, D. Legros, M. Pandolfi, B. Chapais, M. Singleton, L. Voyé, K. Dobbelaere, R. Devisch, L. Strivay, R. Deliège, A. Balikci, R. Massé, F. Saillant, J.G. Goulet, S. Bouchard, M.F. Guédon, R. De Koninck, C. Jourdan, D. Meintel, P. Désy, F. Morin, A. Romaine, J.C. Veder, J.M. Labour, C. Chapdelaine, G. Lanoue, M. Kilani, A. Iteanu, N. Revel, P. Claval, A. Molinié, D. Casajus, M. Mauzé, M. Lévi-Strauss, F. Zonabend, A. Zempleni, J. Favret-Saada, J. Cauquelin, J. Copans, M. Bloch, A. Surallés et N. Belmont.
Vingt-quatre anthropologues ont offert leurs témoignages en anglais : T. Morantz, A. Tanner, J. Barker, K, Burridge, M. Rodman, J. Cruikshank, R. Ridington, J. Ridington, S. Rowley, M. Asch, D. Young, C. Trott, R.B. Lee, A. Lyons, H. Lyons, G. Smith, R. Preston, J. Freedman, D. Turner, M. Lock, J. Galaty, R. Darnell, J. M. Guenther, H. Feit.
Des séquences supplémentaires ont été réalisées en langue créole et en français avec L. Soopramaniens, A. Poulay, W. Rose, et J. Ravat.
Aujourd’hui, près de cinq ans après sa création, plus de 600 séquences de 25/30 minutes chacune ont été réalisées avec près de 98 collègues. Jusqu’ici les films ont généré plus de 130 000 visionnements (Google analytics) avec des auditeurs situés dans plus de 170 pays mais avec une forte concentration au Canada, en France, aux Etats-Unis, en Belgique et à l’île Maurice.
Les réalisations sont offertes en libre accès et diffusés sur les réseaux sociaux. La série se poursuit aujourd’hui sous la signature du blog qu’elle construit, anthropolog.net. Elle est toujours produite en partenariat avec les revues Anthropologie et Sociétés du Département d’anthropologie de l’U. Laval (Québec, Canada), Anthropologica, la revue de la Société canadienne d’anthropologie (CASCA) et Social Compass, la revue de la SISR (UCL, Belgique).
Les films sont d’abord diffusés sur une chaine Youtube intitulée Les Possédés et leurs mondes (https://www.youtube.com/channel/UCb5YUvJjEpeGBvmFOUasKoA/playlists?view=1&flow=grid) ainsi que sur les réseaux sociaux, en particulier sur Facebook (https://www.facebook.com/anthropologieetsocietes; https://www.facebook.com/Les-Poss%C3%A9d%C3%A9s-et-leurs-mondes-1878987355727485/) ou encore sur les sites de Anthropologie et Sociétés (https://www.anthropologie-societes.ant.ulaval.ca/les-possedes-et-leurs-mondes) et le site du LAAP de l’UCL (https://uclouvain.be/fr/instituts-recherche/iacchos/laap/les-possedes-et-leurs-mondes.html)
La série des Possédés et leurs mondes complète plusieurs initiatives comparables en anthropologie visuelle, comme l’entreprise dirigée par le professeur Alan Macfarlane, à l’université de Cambridge, intitulée Interviews with Anthropologists et celle du professeur Dieter Haller, directeur du département d’anthropologie sociale à la Ruhr-Universität Bochum, dont le projet est intitulé Interviews with German anthropologists : Video Portal for the History of German Anthropology post 1945. La série des Possédés et leurs mondes est enfin complémentaire à deux collections, l’une orientée sur l’anthropologie générale (L’ethnologie en héritage), l’autre consacrée à des spécialistes de l’Asie (Paroles d’Asie et du Pacifique).
Dans les années à venir, la série des Possédés devrait franchir de nouvelles étapes en élargissant encore son assise, en amplifiant sa diffusion, en bonifiant sa plateforme. Elle augmentera encore la contribution française et, à plus long terme, sollicitera des collègues en Europe et ailleurs dans le monde, en particulier en Afrique et en Asie. Parmi les outils à développer, figure la carte des possédés dont une première version a été réalisée par la revue Anthropologie et Sociétés (https://www.anthropologie-societes.ant.ulaval.ca/les-possedes-et-leurs-mondes). Celle-ci donne accès au film par les terrains géographiques des chercheurs. La création d’outils supplémentaires serait souhaitable, en particulier des encarts biographiques pour chaque personne interviewée, afin de faciliter la mise en valeur des témoignages des anthropologues sollicités.